Un vendredi soir à Ninane

 

Il existe une volée de marches connues dans le monde entier, celles du Palais des festivals de Cannes, que grimpent élégamment toutes les vedettes du grand écran et les égéries de grandes marques de cosmétiques lors du gigantesque barnum cannois. Il en existe une autre, connue des aficionados de la balle orange en région liégeoise, à la salle Winkin. C’est celle là qu’avait décidé de gravir Liège & Basketball ce vendredi soir.

 

Il est dix-neuf heures et nous pénétrons dans la cafétéria du BC Ninane. Que ne pourrait-elle narrer comme anecdotes si elle était dotée de l’usage de la parole. De nombreuses personnes sont déjà présentes à discuter autour d’un verre, deux heures avant le début de la rencontre qui va opposer le matricule 1200 à Gembo, troisième de TDM1. Des enfants, impatients de profiter du bar à pâtes qui leur est spécialement consacré, courent entre les tables joliment dressées par la cellule de manifestation du club. Un délicieux fumet embaume l’air et présage un plaisir gustatif réjouissant. « Aujourd’hui, nous allons servir plus d’une soixantaine de repas » nous explique Alain Delfosse dit Pépé, l’homme qui officie derrière les fourneaux avec talent et dévouement. « Mais lors de chaque rencontre à domicile, nous servons une trentaine de couverts au bas mot. Les gens comprennent que c’est une formule sympathique. Pour douze euros, tu profites d’un repas chaud concocté par nos soins, de l’entrée au match et souvent d’un concert organisé pour la troisième mi-temps. » Et d’ajouter: « pour un couple, s’il prend une bouteille de vin, ça lui fait trente-huit euros et l’assurance de passer une soirée agréable et conviviale. » Doué derrière son piano le Pépé, mais aussi diantrement efficace en marketing.

 

Un délicieux dîner et d’agréables conversations

 

Le temps de tailler le bout de gras avec des habitués des lieux, et il est temps de passer à table. Au menu ce soir: bocconcini revisités, pâtes fraîches  et roquettes accompagnés d’un gouleyant Grenache rouge. Un repas  équilibré et savoureux que l’ensemble des convives semble particulièrement apprécier. Une repasse de pasta est même proposée à ceux qui ont bon appétit. « J’aime beaucoup la sauce qui est servie » nous précise Marie-Charlotte, venue avec son compagnon et sa fille, en faisant un sort à son assiette. « La pancetta qui y est ajoutée relève l’ensemble. »

Le plat du jour (photo S. ElH).

Pendant que chacun des invités se régale, les joueurs calidifontains commencent leur échauffement. On les sent concentrés et désireux de produire un autre basket que la semaine dernière à Ostende. « Gembo c’est solide » nous confirme Morgan, ancien joueur du club et spectateur avisé. En effet, le club flamand pointe actuellement à 7 victoires pour deux défaites. Des  Anversois visiblement plus doués sur le terrain que dans leur choix vestimentaire tant leur équipement, d’un jaune et vert criard, pique les yeux de qui s’attarderait à trop le fixer.

Alors que les tables se débarrassent, que les cafés sont servis, nous entendons Luc Dubois, l’infatigable Président du club local faire la présentation, en français et néerlandais – s’il vous plait!- des joueurs sous les applaudissements d’un public malheureusement trop clairsemé. Si Luc a quelque peu martyrisé la langue de Vondel lors de l’intronisation des protagonistes du jour, il a su transmettre son énergie à la centaine de personnes qui ornent les gradins. Le match peut commencer.

 

Une entame de match manquée

 

Et il démarre sur les chapeaux de roues! C’est Gembo, faisant preuve d’une réussite insolente et bien aidé par des Calidifontains perdant trop de ballons, qui prend rapidement l’avantage, 2 à 13. Marc Hawley est obligé de craquer son premier temps-mort pour stopper l’hémorragie et recadrer ses ouailles. Interlude dont profite John, papa d’un garçon de sept ans qui vient de commencer le basket, pour nous demander s’il y a toujours autant de monde lors des repas et des matchs. « C’est ma première fois ici » nous dit-il. « Et je suis vraiment très agréablement surpris! » Nous ne pouvons manquer de lui conter des souvenirs d’une autre époque, lorsque le chaudron ninanais accueillait plus de cinq cents personnes lors des grosses affiches.

Le coach des pensionnaires de TDM1 (photo D. Kerger).

A force d’abnégation et de culot, Fassotte et compagnie refont leur retard pour se rapprocher à 30-33 à la dix-huitième minute de jeu. Mais une perte de balle des locaux, suivie d’un trois points des Anversois redonnent de l’air à Gembo. Hawley ne peut s’empêcher de laisser échapper un sonore « Jesus Christ! » confirmant là toute sa frustration. Frustration qui ne peut qu’augmenter lorsqu’Henrard fait une faute offensive, imité dans l’autre partie de terrain par Yannick Moray qui offre ainsi deux lancers-francs aux visiteurs. C’est 31-38 et le coup de sifflet des référés renvoie les deux équipes aux vestiaires.

Les Ninanais ont raté l’occasion de revenir à égalité, mais qu’importe, ils sont dans le match et offrent un visage bien plus séduisant que lors de leur précédente prestation. Alors que les bénévoles s’affairent derrière le bar pour étancher la soif des supporters qui se sont égosillés vingt minutes durant, Manu, fidèle du club, lance à la cantonade qu' »il n’y a que des amis ici! » Il est vrai que l’excellente ambiance qui règne dans les travées de la salle Fredy Winkin ne peut que créer ou renforcer des liens amicaux.

La seconde partie du duel reprend et les spectateurs se pressent pour reprendre place dans les tribunes. Certains ont même emporté des ustensiles afin de faire un maximum de bruit pour encourager Lallemand et consorts. Et cela semble fonctionner, Ninane serre la vis en défense et recolle au score, c’est 50-53. Jeremy Dedave attaque le cercle et se fait sécher par son défenseur. « C’est faute ça, référé! » éructe Luc Dubois. Malheureusement, les arbitres en ont décidé autrement et Ninane encaisse un gros trois points dans la foulée, c’est 50-58 après trente minutes.

 

Dix dernières minutes étouffantes

 

La pression monte d’un cran dès l’entame de l’ultime période. Une pression que ne semble pas ressentir Sebastien Maio qui balance deux bombes pour ramener Ninane à quatre points, 59-63. Le meneur chauve de Gembo se fait passer un savon par son coach pendant que la sono, gérée de main de maitre par David Kerger, crache des sons stimulants pour les joueurs et leur public.

Maio insolent d’adresse dans le 4e quart-temps (photo D. Kerger).

Xavier Colette, qui avait commencé le match sur le banc, décide d’aider son partenaire de backcourt. Les deux compères, pas loin de soixante ans d’expérience basketballistique cumulés, font pleuvoir une pluie de paniers sur la tête des Anversois. Le capitaine des Rouge et Blanc, visiblement remonté, se frictionne avec un joueur adverse. Double faute et 71-69. On se met à y croire parmi les fervents supporters. « On peut le faire » nous dit Jean Louis Wey, autant pour se rassurer que pour se porter chance. La tension est à son comble, ça hurle, ça bat des mains et sur le terrain, dix guerriers bandent leurs muscles pour remporter chaque duel. Mais à 58 secondes du terme, Gembo repasse devant d’un point et puis de trois sur une horrible perte de balle de Moray. C’est 74-77 et il reste moins de trente secondes à jouer. Au sortir du temps-mort, Maio inscrit un lay-up sur un système superbement exécuté. La faute directe offre des lancers-francs pour redonner trois points d’avance aux Anversois. Ninane rate le shoot de la gagne mais prend le rebond offensif. Patatras! Les Ninanais perdent le ballon dans la foulée. Le match est terminé, les néerlandophones explosent de joie tandis que du côté local la déception est de mise. Ninane est vraiment passé tout proche de créer l’exploit!

 

Un après-match convivial

 

Dans la cafétéria, le public est remonté pour refaire le match autour d’un verre. « On perd plus de vingt balles, c’est beaucoup trop » nous précise André Fawes, le statisticien en chef de nos représentants en deuxième division. « C’est vraiment dommage cette mauvaise gestion des moments clés » embraie Morgan. « Et pourquoi shooter à deux points quand on est mené de trois? » s’interroge Manu.

Néanmoins, malgré la légitime désillusion, l’ambiance reste au beau fixe. Ca papote, ça rigole, ça se prend dans les bras. Yvan Fassotte, ancien entraineur des locaux et légende vivante du basket liégeois – lui qui a permis au BC, avec le comité de l’époque, de monter de R1 en D2 en quelques folles saisons -fait sa joyeuse entrée. Et d’emblée, il gratifie ses interlocuteurs de sa gouaille et de sa bonne humeur.

Yvan Fassotte, coach brillant.

Marc Hawley, un disciple d’Yvan justement, et son digne successeur à la tête du matricule 1200 peine à cacher son amertume même s’il reconnait, en entraineur avisé, le positif dans cet affrontement. « Nous avons eu une belle réaction défensive » nous confie-t-il. « Mais nous avons payé notre début de match manqué, nos pertes de balles et certaines rotations défensives hasardeuses. » Qu’à cela ne tienne, Nicaise et ses coéquipiers ont montré la réaction d’orgueil tant attendue. « C’est dommage d’avoir perdu » confirme Claire, la fille ainée de Luc Dubois, qui avait quitté une dégustation de vin pour assister à la rencontre. « Mais l’attitude de nos gars était positive. »

Le temps s’égrène, des sandwichs sont apportés aux protagonistes des deux camps pour les requinquer après l’effort, et il est déjà temps pour nous de regagner nos pénates. Lorsque nous quittons les lieux, l’atmosphère est bon enfant et conviviale, promesse d’une soirée qui va s’éterniser jusque tard dans la nuit, offrant ainsi à chacune des personnes présentes le souvenir d’un excellent vendredi soir.